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Où vas-tu ?

Ces trois petits mots, qui sont apparemment simples, posent problème. C’est d’abord l’absence de cette question qui gêne Jésus : « Aucun de vous ne me demande : "Où vas-tu ?" » Mais Jésus vient de dire : « Maintenant je m’en vais vers Celui qui m’a envoyé. »

Découvrez cette étude biblique sur le passage Jean 16.1-11 

                                                                                                                      

Alors, pourquoi ? 

 

Son rôle pourtant est de maintenir un lien entre ceux qui restent et celui qui part. Ni formule de politesse, ni simple curiosité, cette remarque sert de pont entre la situation dans laquelle se trouve la communauté et la réalité de foi à laquelle elle est appelée.

Jésus interroge les disciples ; il ne s’agit pas de l’être humain en général mais de celui qui consent à suivre le maître, à lui être fidèle, même s’il ne comprend pas tout, même s’il y a des difficultés. Ce qui compte est son attachement au maître.

Pourtant la communauté johannique vit des heures difficiles : « On vous exclura des synagogues. » Le choc est violent. Faut-il vraiment suivre Christ si c’est pour être séparé de ceux qui adorent Dieu, son Père depuis toujours ? Le découragement et le doute envahissent peu à peu les membres de cette communauté.

Il s’agit alors de fortifier ces croyants, de les affermir dans leur foi en Christ et de les encourager dans leur témoignage.

 

Le texte en son architecture fait voir plusieurs niveaux à tenir ensemble pour en saisir la profondeur et la richesse : Jésus s’adresse à ses disciples avant sa mort. Ce passage s’inscrit dans ce qui a été appelé « les discours d’adieux ». C’est bien le Jésus de l’Histoire dont il s’agit, c’est bien celui qui va mourir, celui qui a vécu parmi les siens et qui va être séparé d’eux.

 

Mais celui qui parle est en même temps le Ressuscité. L’évangéliste Jean fait une lecture après Pâques, ou plutôt à partir de Pâques. C’est pourquoi il s’adresse alors aux croyants de tous les temps.

Loin de simplifier la lecture, ce double niveau ne résout pas le paradoxe des contraires : comment croire que l’absent est présent ? Comment le manque peut-il être en fait un gain ? Ou encore comment vivre dans un monde qui ignore Jésus ? Et même pire, comment vivre dans un monde qui n’offre à la communauté des disciples qu’hostilité, incompréhension, rejet, persécution ?

 

Les étonnements ne manquent pas dans les réponses apportées :

L’Esprit, par sa présence agissante et continue, est la nouvelle présence de Jésus. Il est son représentant, son autorité, ce lien qui unit la communauté à son Maître. Aussi ce temps où Jésus est physiquement absent n’est pas un temps déficient, au contraire c’est un avantage, et par ailleurs l’attente des disciples d’un avenir meilleur n’est pas reportée sur un retour en gloire de Jésus. Cette nouvelle présence de Jésus les tient dans un présent où la rencontre avec Lui est toujours possible.

 

Tout semble clair et pourtant Jésus donne à son discours valeur d’avertissement : « Je vous ai dit ces choses, afin qu’elles ne soient pas pour vous une occasion de chute. » C’est une façon de donner du recul et d’ouvrir sur un autre point de vue la situation de persécution dans laquelle se trouve la communauté et qui du coup ébranle la fidélité de ses membres.

 

La situation de la communauté dans ce contexte difficile est relue pour faire en quelque sorte le point sur ce qu’elle vit, pourquoi elle en est là, pourquoi une telle hostilité, etc. Mais il ne s’agit pas d’une simple analyse ; la relecture se fait à partir de Christ et uniquement à partir de Lui. La chute potentielle est par rapport à Christ. L’enjeu est donc la fidélité au Seigneur, la persévérance dans l’attachement à Christ malgré et au cœur de circonstances défavorables.

 

L’enjeu n’est pas abstrait, doctrinal, il s’agit de la vie et de la foi de la communauté. Une foi qui risque de conduire ses membres à la mort spirituelle en lâchant tout ou à la vie en plénitude – la vie éternelle – quand bien même ils mourraient.

 

L’hostilité n’est pas étonnante, la résurrection ne doit jamais faire oublier la crucifixion. Le chemin du disciple est de suivre son maître : « Comme ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront. » L’exclusion des synagogues n’est pas étonnante, puisque ceux qui les excluent se sont eux-mêmes fermés au Père en refusant de reconnaître son Envoyé.

Ce n’est donc pas l’hostilité qui doit étonner, mais bien plutôt la grâce de Dieu en Christ qui désormais se manifeste par son Esprit. Ce qui conduit à l’émerveillement, c’est la fidélité de Christ qui n’abandonne pas les siens mais les accompagne, les guide en leur donnant son Esprit.

Justement, son Esprit dont le nom est le paraclet, le consolateur, l’avocat, le défenseur.

Tenir bon, persévérer parce que Christ continue par son Esprit d’agir dans le monde. La réalité n’est pas la réalité ultime, ce qu’ils voient et ce qu’ils vivent ne doivent pas les empêcher de voir ce que désormais ils peuvent voir avec les yeux de la foi, c’est-à-dire l’Esprit agissant et conduisant à un renversement complet de lecture : le monde a condamné Jésus, mais Jésus est vivant ; c’est maintenant le paraclet qui est en procès avec le monde, il rétablira la vérité.

 

Trois axes fondamentaux sont donnés avec ces trois mots : péché-justice-jugement.

  • le péché : désormais le rapport à Dieu est en Christ : ne pas croire à l’œuvre de Christ, ne pas croire en lui, c’est se couper de Dieu. C’est la définition du péché.
  • la justice : le crucifié est vivant, Dieu l’a ressuscité, « Il va au Père ». Envoyé par le Père, il retourne auprès du Père. C’est lui que Dieu cautionne, approuve. Son absence auprès des hommes est le signe de sa victoire, il est vivant.
  • le jugement : « Le prince de ce monde a été jugé. » Ce n’est pas le monde qui est jugé, mais l’expression propre à Jean – « prince de ce monde » – indique que ce qui conduit le monde (puissance, pouvoir, argent… avec son lot de violence, d’injustice) est condamné, il a tort et court à sa perte. Le prince de ce monde est jugé mais le monde est aimé de Dieu ; il n’est donc pas besoin ni d’en avoir peur, ni de le diaboliser, ni de le considérer comme définitivement perdu.

 

Comme l’Evangile de Jean le souligne à plusieurs reprises, le lien avec Christ, maintenant le paraclet, ne conduit pas à un tête à tête privilégié et confortable, mais il rétablit la relation au plus large : « Comme le Père m’a aimé, je vous ai aimés… aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. »

Non seulement la communauté reçoit l’assurance de la présence de Jésus par son Esprit, mais encore elle est invitée à ne pas se replier sur elle-même et plus encore à oser la rencontre, ici la rencontre du monde pour le dévoiler à lui-même et lui donner toujours et à nouveau la possibilité de se décider pour ou contre Christ.

 

Par ailleurs, cet appel à la fidélité à Christ au cœur de circonstances défavorables, difficiles, n’est pas uniquement à comprendre par rapport à l’extérieur, à un monde hostile. Nous pouvons aussi prendre ce texte à l’envers, comme une mise en garde. L’histoire du christianisme nous le rappelle cruellement quand, à diverses époques, les chrétiens, majoritaires, n’ont pas hésité à utiliser la contrainte et la violence pour imposer leur religion. La tentation de puissance, de domination, d’absolu est toujours présente pour chacun comme pour les institutions. Une bonne action peut être tordue, déviée et devenir injuste et néfaste. Le chemin de la fidélité est une crête qui suppose discernement et humilité. Toutefois Jean ne met pas l’accent sur le disciple, sur sa capacité à tenir bon ou non, sur ses forces et ses faiblesses. Il insiste sur la relation entretenue ou non avec Christ. Tenir à cette relation c’est croire que Christ est fidèle, et il le signifie par son Esprit qui agit dans les cœurs et les consciences.

 

On peut alors mieux entendre cette parole au premier abord provocante : « Il est avantageux pour vous que je m’en aille. » Le croyant ne comprend plus maintenant sa vie, le monde, avec les yeux du monde mais avec le regard de la foi. « Vous ne me verrez plus », il ne s’agit plus de considérer Jésus et sa mort, à la manière du monde. Son absence est le gage d’une présence nouvelle. Alors oui c’est un avantage, parce que ce regard de la foi est bien plus large, plus profond : il peut voir la gloire de Jésus là où le regard historique ne voit en fait que le signe d’un échec. C’est aussi une façon de faire comprendre que la relation avec Jésus ne peut pas être une relation d’immédiateté, accessible à l’observation humaine ; c’est par la foi que Jésus se rencontre.

 

« Où vas-tu ? » est donc une interpellation.

 

Maintenir cette question vive en soi, c’est redire que Christ est vivant, c’est affirmer que sa propre réalité n’est pas la réalité ultime ; quelles que soient les circonstances, la réalité ultime est en Christ, il est vivant et il continue d’agir dans le monde par son Esprit, redonnant le courage de croire et d’espérer.

 

@Etude biblique réalisée par Anne-Laure Danet, Pasteur de l’Eglise Protestante Unie de Montparnasse-Plaisance

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Article écrit par Anne-Laure Danet